DMZ #129994: Les préparatifs
Après une semaine de travail à un rythme insoutenable, les baroudeurs chargés des transferts ont fini par regrouper les magasins épars et les préparer pour la mission. Le service de logistique a pêché par excès et a mis à la disposition de l'expédition 104 recharges d'hydrogène. La vigilance des relais et la pression des aiguilleurs ont permis de réduire pour la première fois les pertes à moins de dix pour cent, cela nous a tous ravi, un grande partie de nos stocks provient des sympathisants et nous nous sentions tous concernés et responsables par le sort de ce don.
Demain seront transférés sur site les trains de betrayal, une quinzaine, mais, cette mission sera facilitée par les services annexes de la firme et la sécurisation sera moins pénible et beaucoup moins risquée.
La joie de l'équipe de logistique contraste avec le silence des cartographes, qui se tiennent à l'écart, silencieux, on les voit au fond du bar écrire, dessiner, annoter pour finalement déchirer un papier qui en a vu de toutes les couleurs. On les voit ensuite se lever, fermer les yeux et compter avec le bout des lèvres, on voit leurs mains bouger comme pour simuler un transfert, pour s'arrêter soudain comme si quelque chose n'allait pas … et ça se répéte à n'en plus finir.
Un des baroudeurs osa s'approcher d'eux, un petit sourire dessiné sur des lèvres qui s'apprêtaient à débiter une petite blague, les mains remplies par une bouteille de single malt et de quelque verres, mais le regard noir des deux cartographes l'arrêta sec, le baroudeur déposa les verres et la bouteille, et se retira en silence rejoindre ses confrères qui discutaient encore du dôme rencontré il y a de cela quelque jours.
Le dôme qui a obstrué la route des deux missions organisées en direction d'ODD crater soulevait la polémique, on en entendait des plus rationnelles aux plus extravagantes, mais tout le monde savait que la vérité passait par la DMZ #129994 et à chaque fois que la zone est évoquée, tout le monde se taisait et lançait un regard aux deux cartographes.
De temps en temps un aiguilleur élevait un peu la voix plus que les autres à la recherche d'un relayeur pour lui donner un petit papier, tout le monde savait ce qui y était écrit: un nom, un rendez vous et une destination. C'était le quotidien des aiguilleurs, relais et magasiniers...
DMZ #129994: inquiétudes.
Nous étions entrain d’affiner les dernières retouches sur le journal des missions, les cartographes sont déjà en retard sur les délais, mais, rien d’alarmant, les journaux de bord seraient prêt à temps pour les briefings de mission. Le but des dernières retouches était d’optimiser les ressources consommées et la mise en place des protocoles de sécurité minimales pour prévenir la perversion d’une planète aussi rouge que qu’impitoyable.
Les hypothèses des catastrophes étaient classées par ordre de probabilité, les plus pertinentes étaient analysées sur tous les plans, les systèmes de prévention et les recommandations étaient annotées au bas de chaque journal de bord. Les garnisons des coffres étaient revues pour prévenir malgré tout les plus probables de ces cas.
L’intrusion d’un analyste, dans cet antre sacré fit taire tous les cartographes, et suspendit tout mouvement, les yeux se fixèrent sur l’intrus avec regard ahuris. Même si certains avaient l’habilitation d’accès, il était de d’usage que ce droit ne soit jamais exercé. Tout laisser croire que ce qui allait être dit, valait la peine de cette intrusion.
L’analyste, totalement épris par ce qui le tourmentait, ne s’en est même pas rendu compte, il avança de quelque pas et mit un bout de papier au centre de la table. C’était une photocopie d’une photocopie d’un papier qu’aurais écrit HJK. Le fluo surlignait un passage qui décrivait le dôme d’un rayon de mille kilomètres qui obstruait le passage à HKJ et ne lui permettait pas d’aller plus loin. Le dôme nous était familier, la dernière mission avait permis à colibri, Kilya et aussi à Teejee d’atteindre, cet obstacle s’est élevé contre nous sur la route d’ODD carter.
L’analyse attira notre attention sur un point qui nous inquiéta au plus haut degré, les écrits de HJK n étaient pas claires sur un petit détail, le flou du doute nous embrouilla. Les nuances des mots pouvaient avoir deux sens, totalement contradictoires, mais, qui affecteraient directement la faisabilité de la mission que nous comptions entreprendre. Nous nous regardâmes, troublés, nous pensâmes à la même chose en même temps, l’hypothèse avancée par l’analyse était dans le domaine du probable, mais, c’était à nous de tester et de nous assurer.
DMZ #129994: limites
Une concertation rapide entre les cartographes et nous voilà d'accord, une deuxième expédition nous était nécessaire pour décider du sens des mots que HJK a consigné sur le bout de papier. Deux possibilités ont été sélectionnées, à partir du centre de la zone de vivance ou bien à partir du nord.
Le nord fut choisi, et dans un souci de rendement, le baroudeur classe 5 Teejee fut choisi parmi les candidats qui se sont proposés. Le souci d'économie était le facteur déterminant, surtout que nous ne pouvions pas connaître le nombre de missions qui risquent d'être lancées pour valider une théorie ou l'autre.
Je me suis porté volontaire pour le ravitailler en cours de route. Nous établîmes rapidement un tableau de bord qui fut immédiatement approuvé et validé par les cartographes. La portée de la mission était de 1500 km mais, nous savions tous que c'est le millième kilomètre qui nous sera décisif.
Nous partîmes à la hâte, j'avais à peine eu le temps de mettre une bouteille de pur malt dans mon betrayal et remplir ma soute conformément à la liste des prés requis, que j'étais déjà sur la route.
Ma liste me laissait une case vide dans ma soute, je la rempli avec une liqueur de crane, je mis un morceau de météorite dans mon coffre et continua ma route. La célérité de Teejee imposait un départ décalé, je devais partir avant lui pour espérer être à temps pour le ravitailler sans le faire attendre.
Sortir du périmètre contrôlé par la firme ne me faisait plus peur, en tout cas pas comme avant, les ternes lumières qui sortaient du vitrage sécurisé des bunkers se cacha définitivement derrière les dunes pour céder le règne à l'obscurité d'une sombre nuit. Le ronronnement du moteur n'était atténué que par le net bruit que la Voxcam recevait d'un bar toujours agité ou par un message provenant de Teejee qui attendait le feu vert pour me suivre, m'atteindre et me dépasser.
Le noir, la solitude et les étoiles ; Les trois ingrédients pour se libérer l'esprit et le laisser vagabonder, affranchi de toutes contraintes, revivre des moments intenses de bonheur ou de tristesse, réfléchir et analyser les nouvelles étranges vécues au bar ou que les habitués de confiance ont rapportées et jurent avoir vécues. Rien que pour ça, j'adorais cette bête qui glissait royalement sur les dunes de sable et parfois sautille sur les parcelles accidentées et irrégulières.
Arrivait le moment ou Teejee se lança à ma poursuite, notre synchronisation était presque parfaite, je n'ai pas dû l'attendre plus de quelques minutes avant que les lumières du betrayal n'éventrèrent le noir de la nuit et s'approchèrent de moi. Le frein sec fit glisser le betrayal sur du gravât, Teejee maitrisa la bête et patina en dérapant pour s'arrêter à une dizaine de mètres de moi.
Le temps de descendre et de remplir le réservoir de son betrayal avec les recharges qui se trouvaient dans sa soute, j'avais ramené à Teejee son ravitaillement et l'aida à le fixer à la place des anciennes. Cela ne dura que quelques minutes. Ma tâche a été réalisée comme prévu, sans encombres ni accidents. D'un geste bien compréhensible je l'invitais à s'approcher de mon betrayal et lui montrais la bouteille de pur malt. C'était notre façon de nous souhaiter bonne mort. De nous dire un au revoir qui se voulait à la fois un adieu et un "à demain".
Teejee, trop pressé, ne prit qu'un seule verre, le reste me fut confié pour l'honorer dans le grand respect des coutumes baroudesques. Il Reprit sa route, et disparut dans les antres de l'obscurité.
L'attente est le pire ennemi du baroudeur, la paresse du compteur à rebours qui se refuse devant un regard qui le prie d'accélérer, les secondes qui s'éternisent à la porte du temps nous étaient insupportables, je pris donc le petit bout de météorite et commença à apprendre à jongler, oui, un avec seul météorite, qui sait, deviendrais-je un jour capable de jongler avec deux, trois ou même plus. L'effort, plus fort que le temps, vint à bout de mes réserves d'oxygènes. N'en pouvant plus je tendis la main, et bu les gorgées de la liqueur de crane.
DMZ #129994: le dôme
La bénédiction de l’adepte eut raison de mon état comateux, mon réveil était, comme à chaque fois, brusque et frustrant, se retrouver dans un caisson alors que le nauséeux de la liqueur de crâne est en encore dans la bouche réveillait les derniers moments d’asphyxie à des centaines de kilomètres par là. Mes mains parcoururent instinctivement mon corps à la recherche de la nouvelle cicatrice et mes yeux éblouis par la lumière qui s’était brusquement allumée quant le caisson s’ouvrit s’adaptèrent petit à petit.
Petit à petit je repris mes esprits et pris la direction de la cuisine pour me restaurer. Mes pas étaient lents, mes muscles engourdis, mais, je savais que me nourrir évaporerait ses sensations. Je devais aussi changer l’arrière gout laissé dans ma bouche.
A peine le temps d’avaler les premiers bouchers, que le voxcam se mit à bipper et une convocation immédiate aux bureaux des baroudeurs parut sur l’écran. Je pris rapidement un coffee booster en main et pris et rejoignis les argonautes réunis en catastrophe.
Les Regards étaient graves, les têtes sombre et silence trônait la salle. Les attablés se contentèrent d’émettre un regard furtif et d’un sourire léger en réponse à mes salutations. Le plus proche me transmit le rapport de la mission encours menée par Teejee. Munis d’une carte et de mes tables de calculs je me mis directement à calculer. La conclusion était évidente et incontestable : la barrière des mille kilomètres est infranchissable. Nul ne pouvait donc aller plus loin de son bunker. Le dôme décrit par HJK était donc bien individuel, infranchissable.
Mille kilomètres c’est énorme pour certains, mais, pour un baroudeur c’est une petite cellule de prison. La firme a fabriqué nos bunkers, elle a décidé de nous tenir emprisonnés. La liste des questions qui découlèrent de cette découverte était énorme et la manque de réponses me fit rejoindre, les têtes assombries, qui m’entourèrent dans les plus sombres inquiétudes….
« Nous somme entrain de passer un nouveau cap. » Ces mots sortirent bas de ma bouche mais éveillèrent les attablés qui me regardèrent avec interrogation… Et un long débat commença.